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[Décryptage ] Energies solaires : l’agriculture sortira-t-elle grande gagnante de cette révolution verte ?

Dernière mise à jour : 25 avr.


En 2019, sous l'impulsion de la loi Energies et Climat, la France s'est fixée un objectif ambitieux : atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. Au cœur de cette transition, les énergies renouvelables jouent un rôle crucial. Elles devront représenter un tiers du mix énergétique de notre pays.


Alors que la presque totalité des surfaces utilisables (friches industrielles ou artisanales , délaissés d'autoroutes, etc...) ont été exploitées par les producteurs d'énergies solaires, le monde agricole devient particulièrement attrayant. Et pour cause, il représente plus de la moitié du territoire français puisque 52% de notre pays est recouvert de terres agricoles (prairies incluses) !  Au regard de ces éléments, les possibilités d'installation de parcs solaires sont considérables. On a alors pu constater, ces dernières années, une arrivée massive sur le marché agricole des acteurs du solaire.


Et, sur le papier, la promesse est belle : le monde agricole a la possibilité d'être acteur de la transition en produisant de l'énergie verte et locale tout en améliorant les revenus de ses agriculteurs.

J'ai eu l'opportunité d'animer une conférence sur la thématique, organisée par Groupama, "Comment assurer une transition agricole durable ?". Cela m'a inspirée pour vous proposer un décryptage sur le sujet des énergies solaires !

Quelles sont les perspectives de développement de ces énergies ? Le monde agricole et les énergéticiens arriveront-ils à travailler main dans la main pour construire des projets durables ? Et surtout, l’agriculture et les agriculteurs sortiront-ils gagnants de cette transition ? Tentative de décryptage....


Les hangars photovoltaïques : un modèle qui a fait ses preuves


Les énergies solaires sont présentes depuis maintenant plusieurs années dans les fermes au travers des panneaux photovoltaïques sur bâtiment. Ces derniers se sont multipliés et sont désormais devenus monnaie courante dans les modèles économiques des exploitations. D’après les chiffres de l’Ademe, ce serait plus de 50 000 fermes qui en seraient équipées.



Ces installations permettent à l'agriculteur de diversifier ses revenus et d'améliorer ses marges :

  • Soit en réduisant ses coûts s'il est sur un modèle d'autoconsommation de l'énergie qu'il produit,

  • Soit en améliorant son chiffre d'affaires s'il revend l'électricité à un opérateur.


Sur le montage financier de ces projets, deux choix s'offrent à l'agriculteur :

  • Être propriétaire des installations : dans ce cas, il investit lui-même en achetant les panneaux photovoltaïques et perçoit la totalité des revenus générés par ces derniers.

  • Louer sa toiture ou son bâtiment à un opérateur qui est alors propriétaire des installations. Dans ce second cas, l’agriculteur perçoit des revenus locatifs mensuels.



Dans les deux cas, ces installations peuvent permettre à l’agriculteur de financer la construction d’un bâtiment agricole à moindre frais, ouvrant ainsi le champ des possibles pour son activité. Lorsqu’il est propriétaire des installations photovoltaïques, les revenus qu’il perçoit de la vente d’énergie lui permettent d’amortir rapidement l’investissement que nécessite la construction d’un hangar.



Dans le second cas, l’agriculteur peut carrément choisir de laisser à l’opérateur le soin de construire le nouveau bâtiment. Avec cette option, le hangar ne lui appartient pas et il ne perçoit pas de revenus liés à la production d'énergie. Il bénéficie cependant d'un bâtiment gratuit entièrement financé par l’opérateur et qu'il peut exploiter pour ses activités agricoles.


Même si, nous le verrons par la suite, certaines précautions sont à prendre en considération pour que les agriculteurs en tirent tous les bénéfices, le modèle des bâtiments photovoltaïques dans les fermes semble avoir fait ses preuves. Il est désormais habituel d’en apercevoir lors d’une visite d’exploitation et ils se sont intégrés, assez naturellement il faut le dire, au modèle économique des fermes. D'autant plus qu'en étant installés sur les toitures, la production d'énergie ne fait concurrence à aucune autre activité. Le principal risque, à ne pas négliger, reste celui d’un incendie. Si des agriculteurs passent par là, rendez-vous ici pour des conseils pour les prévenir ! 



L'agrivoltaïsme : la poussive rencontre entre le monde de l'énergie et le monde agricole


Une multiplication des acteurs


À l'heure actuelle, lorsqu'on parle d'énergies solaires, une catégorie défraie la chronique : l'agrivoltaïsme. Il s'agit de panneaux solaires posés au sol, sur des terres cultivables, des friches forestières ou des pâtures. Bien que très peu de projets soient vraiment effectifs sur le terrain, ce mot est dans toutes les bouches. Il n'y a qu'à voir lorsqu'on se rend sur des salons agricoles.


Au SIA par exemple, les doigts de la main étaient loin d'être suffisants pour compter le nombre de conférences qui avaient lieu sur le sujet. Au Sommet de l'élevage ou à Tech-Ovins c'est le nombre d'énergéticiens qui avaient un stand qui m'avait impressionné. Les acteurs qui adressent le marché foisonnent.

Pas de doute, le monde agricole présente un fort potentiel business et la concurrence fait rage. Quand on sait qu'il reste moins de 400 000 exploitations en France et que ce chiffre est en constante diminution, on comprend que cette compétition est, plus que dans d'autres secteurs, une question de survie.

Toutes les entreprises ne feront pas leur place sur le marché. Ce dernier va, dans les années à venir, sans aucun doute évoluer et se consolider. Kho Lanta n'a qu'à bien se tenir....la stratégie pour la survie ne fait que commencer !



Un monde agricole qui freine des quatre fers


En face de cette ébullition business, le monde agricole a vu débarquer ces nouveaux acteurs et la majorité des instances historiques s'en est montrée plutôt effrayée.

Une crainte s'installe : que les agriculteurs deviennent des producteurs d'énergies et que la souveraineté énergétique se fasse au détriment de la souveraineté alimentaire. Et quand on voit le revenu tiré par la vente d'un kilowatt d'électricité versus celui de certaines productions agricoles, il y a effectivement de quoi s'inquiéter !


Ministères, Chambres d'Agriculture, CDPENAF (Commission De Préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers)... ont alors freiné des quatre fers en posant des barbelés administratifs. Leur doléance : mener en amont une réflexion pour définir un cadre avec les règles de base. Développer un projet agrivoltaïque relève actuellement du parcours du combattant.


Gilles Vk, témoignait lors de la conférence Groupama au SIA : il lui a fallu quatre ans de démarches administratives et de concertations pour obtenir le permis de construire. Maintenant qu'il l'a obtenu, il lui faudra compter trois ans de plus minimum pour le montage du parc. Sept ans.... de quoi attraper quelques cheveux blancs en passant !

Mais quand on mesure les enjeux, on le comprend. L'innovation oui mais pas à n'importe quel prix. Il faut qu'elle soit réfléchie pour assurer l'avenir de l'ensemble des parties prenantes.

Côté agriculteurs, l'accueil a été tout aussi mitigé. Combien de fois, dans les fermes, ai-je entendu "Le photovoltaïque sur les hangars oui, mais pas question que ce soit sur les terres". Les acteurs de l'énergie se heurtent à l'attachement immuable des agriculteurs à leur terroir. Et puis à la culture du "je-veux-d'abord-voir-si-ça-marche-chez-le-voisin-avant-de-le-faire-chez-moi". Quand on voit la complexité des dossiers et leur dimension financière ici aussi on les comprend. 

Heureusement pour les opérateurs, il existe tout de même une poignée d'agriculteurs pionniers qui ont vu un intérêt de se lancer et qui croient fort à l'avenir du solaire dans les fermes et à sa complémentarité avec leur activité agricole. Ces derniers réclament d'ailleurs plus de latitude administrative. Ils souhaitent qu'on leur fasse confiance pour développer des projets intelligents qui combinent efficacité alimentaire et énergétique.



Un monde de l'énergie qui découvre la culture agricole


Certains opérateurs énergétiques avaient sous-estimé ce paramètre : le monde agricole n'est pas un secteur comme les autres. C'est un milieu professionnel à la culture marquée et à l’organisation digne d'une toile d'araignée. Quand on est intégré à ce milieu et qu'on travaille bien, on en tire beaucoup de bénéfices : tout le monde se connaît et la solidarité est forte. On trouve toujours quelqu'un qui connaît quelqu'un pour nous aider lorsque nous avons une problématique. Le bouche-à-oreille fonctionne par ailleurs vite, ce qui peut être très favorable pour le développement business. Les décisions prises se veulent pragmatiques, fidèles au fameux “bon sens paysan” ! 

Cependant, avant d'y être intégré, il faut montrer patte blanche. Cela demande du temps et surtout une connaissance du terrain. Car c'est bien là que cela se joue : la légitimité d'un acteur est jaugée en fonction de sa proximité avec les agriculteurs et la capacité à comprendre leurs enjeux.

Certains acteurs de l'énergie se sont alors heurtés à une difficulté intangible mais bien réelle : leur méconnaissance du monde agricole et de ses codes. Pas facile dans ces conditions de convaincre les institutions historiques de mener des projets aussi disruptifs et innovants que l'agrivoltaïsme.


Et il en va de même pour certains commerciaux qui partent en première ligne pour démarcher les agriculteurs.


Vouloir faire du commerce avec un paysan sans connaître les réalités de son quotidien relève du baptême du feu.

On le sait, une relation commerciale avec un agriculteur est très souvent durable et loyale mais à condition d'avoir passé avec succès le rempart de la première rencontre ! 

Et à condition aussi d'avoir compris qu'il n'existe pas une exploitation comme une autre et qu'il s'agit donc de concevoir des projets sur-mesure, adaptés aux réalités du terrain et à la vision de l'agriculteur. Cette dimension peut représenter un frein à la productivité des projets. D’autant plus quand on sait qu’un agriculteur sur deux partira à la retraite dans les cinq à dix ans à venir.

Sachant qu’un projet agri-voltaïque met entre cinq et dix ans à voir le jour, cela veut dire que, dans de nombreux cas, l’agriculteur qui réfléchit au projet ne sera pas celui qui en bénéficie (sauf pour ceux qui pensent le projet pour se constituer une retraite complémentaire). De quoi encore plus complexifier l’affaire ! 



Un dialogue qui s'installe et se fluidifie petit à petit


Petit à petit, la filière s'est structurée et, chacun faisant un pas vers l'autre, le dialogue a pu s'instaurer. J'en veux pour preuve la création de la Fédération Française des Producteurs Agrivoltaïques (FFPA) qui a vu le jour  pour aider les acteurs de l'énergie à se connecter aux besoins des agriculteurs afin de construire des projets réalistes et durables.

En plus de créer du lien entre les énergéticiens et le monde agricole, la FFPA a largement participé à la construction du décret sorti en décembre 2023, publié au Journal Officiel en avril 2024, pour la mise en application de la loi d'accélération d'énergies renouvelables.


Très attendu, l’objectif de ce décret est de poser un cadre légal au développement des activités agrivoltaïques.

Définition, conditions de mise en place, contrôles, durée d'autorisation d'exploitation, règles à respecter une fois le contrat terminé.... de nombreux éléments sont fixés dans ce décret et offrent désormais plus de visibilité à l'ensemble des acteurs, ce qui devrait fluidifier les échanges.



Désormais, c'est officiel, est considéré comme agrivoltaïque une installation  :

  • Qui apporte directement à la parcelle agricole au moins l'un des services suivants :

    • L'amélioration du potentiel et de l'impact agronomique,

    • L'adaptation au changement climatique,

    • La protection contre les aléas,

    • L'amélioration du bien-être animal.

  • Et qui, en parallèle, garantit à l'agriculteur une production agricole significative et un revenu durable


Une installation agrivoltaïque doit enfin être réversible et, surtout, doit garder la production agricole comme activité principale de la parcelle.



Un avenir durable à construire main dans la main


La multiplication des échanges et la définition d'un cadre législatif clair devraient désormais permettre  à l'ensemble des acteurs d'avancer dans une même direction. 


Et espérons qu'ils réussissent à relever ce challenge ! Si le monde agricole et les énergéticiens arrivent à travailler main dans la main et à unir leurs forces, pas de doute, l'agrivoltaïsme a un bel avenir devant lui !

Aujourd'hui peu d'activités peuvent se targuer de répondre à tant d'enjeux :

  • Produire de l'énergie verte et locale

  • Tout en pérennisant la production agricole grâce à une diversification des revenus

  • Et en aidant les agriculteurs à lutter contre le changement climatique, en protégeant animaux et cultures de conditions extrêmes.


La promesse semble particulièrement forte pour les activités d'élevage qui, on le sait, présentent souvent le modèle économique le plus fragile.

En plus d'être complémentaire à cette activité agricole, l'agrivoltaïsme pourrait offrir une bouffée d'air frais financière à nos éleveurs et pérenniser ainsi des filières en constante diminution.


Ces projets peuvent également se montrer particulièrement pertinents lorsqu’ils sont menés de manière collective autour des aires de captage d’eau potable. À proximité de ces points d’eau, les règles sont strictes. Il est notamment impossible d’utiliser des produits phytosanitaires par exemple. L’agrivoltaïsme peut alors présenter une solution pour continuer à produire sur ces zones, le complément de revenu généré permettant de compenser la perte de rendements. 


Bref, pas de doute, l'agrivoltaïsme est une véritable opportunité pour nos agriculteurs et pour le monde agricole mais à condition que les projets soient bien réfléchis en amont et de ne pas se lancer tout azimut face à des opérateurs qui vendraient monts et merveilles.

Pour y arriver, les agriculteurs devront réussir à bien choisir leur opérateur partenaire. Et gare à ceux qui leur promettent monts-et-merveilles. Le retour de flamme d’un projet mal construit pourrait avoir des conséquences désastreuses pour l’énergéticien bien sûr, mais surtout pour l’agriculteur et son exploitation. Un des enjeux clés de l’agriculteur est donc de se faire accompagner par des tiers de confiance pour construire une installation pérenne. C’est indispensable car, on peut le dire, cette activité de production d'énergies est bien loin de son cœur de métier et on ne peut pas lui demander d'en maîtriser tous les aspects.

Les agriculteurs devront  veiller à la pérennité de leur activité première : l’agriculture.

Quels sont les impacts sur leurs aides PAC ? Que se passe-t-il en cas de casse de la structure ? Qui est responsable ? Qui est en charge de l'entretien des panneaux ? Que se passe-t-il si l'entreprise qui a monté le projet fait faillite ? Quel impact sur le bail rural ?  Autant de questions auxquelles il est impératif de répondre au risque que l'agriculteur se retrouve le bec dans l'eau une fois le projet lancé ! Si cela peut aider certains agriculteurs qui passeraient par là, des conseils édités par Groupama sont disponibles ici.


Se pose enfin la question de l’acceptation sociétale. Les structures agrivoltaïques sont impressionnantes et viennent changer drastiquement le paysage, loin de la vision d’épinal qu’a le grand public de l’agriculture. Une dimension à ne pas négliger !


L’ensemble des acteurs gagnerait dès à présent à démarrer l’effort de communication et de pédagogie, au risque de voir le sujet leur revenir en boomerang lorsque les projets sortis de terre se multiplieront.

Avec pour menace ultime, des situations dramatiques comme à Sainte-Soline. 


Pour conclure, le champ des possibles pour les énergies solaires est immense et peut représenter une véritable opportunité pour le monde agricole. La promesse sera cependant remplie à condition que les acteurs arrivent à travailler main dans la main pour des projets bien pensés et mûrement réfléchis. Surtout, il est impératif qu'ils se fassent au service des agriculteurs et de l'agriculture !


Louise Lesparre

Fondatrice de La Clé des Champs

Un grand merci à Olivier Pardessus pour la relecture de ce décryptage !


Sources : 





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