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[Edito] La grippe aviaire à l’état sauvage

Dernière mise à jour : 19 avr. 2023



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2022 aura tristement été l'année de tous les records sur le plan de la grippe aviaire en Europe : près de 2500 élevages ont été touchés par la maladie en France, 50 millions de volailles ont été abattues et l'épizootie (épidémie frappant les animaux) semble hors de contrôle. Le virus est présent quasiment toute l'année au lieu d'une saisonnalité habituellement hivernale. Morts d'animaux sauvages en cascade alors qu'ils étaient jusqu'à présent en grande majorité asymptomatiques, mesures prises pour protéger les volailles domestiques inefficaces... Mais pourquoi ce virus nous donne-t-il du fil à retordre depuis tant d'années ? Quels sont les enjeux et impacts pour nos éleveurs ? Quelles solutions pour sortir par le haut de cette crise ? Tentative de décryptage…


La grippe aviaire, c'est quoi exactement ?


Découvert par le grand public en 1997 à Hong Kong, c'est une maladie virale qui touche principalement oiseaux sauvages et les oiseaux domestiques. Il existe plusieurs sous-types d’influenza aviaires caractérisées par deux protéines : l’hémagglutinine H et la neuraminidase N (ex : H5N1, H5N8, H3N8…). La souche H5N1 du virus fait sa réapparition en Asie en 2003, sous forme d'épizootie, c'est-à-dire une épidémie ne touchant que les animaux.


En France, la grippe aviaire apparaît pour la première fois en 2006, dans un élevage de l'Ain. Mais il faudra attendre 2016, pour que la maladie frappe le pays de plein fouet, à commencer par le Sud-Ouest.


Comment le virus se répand-t-il ?

poulets amandine gay

Le virus est transporté par les oiseaux sauvages qui, jusqu'à présent, étaient très majoritairement asymptomatiques. Ce sont eux qui transportent le virus de continent en continent.

Lors des flux migratoires, cette faune survole des zones d'élevage domestique. Elle peut alors être amenée à être en contact direct avec nos volailles, et ainsi leur transmettre la maladie ; mais la transmission peut également se faire indirectement si les oiseaux sauvages s’arrêtent dans les environs pour s’abreuver sur un point d’eau à proximité ou s’ils produisent des déjections ou excrétions (toux par exemple). La maladie est alors présente sur le territoire et se répand rapidement partout.

Une fois le virus présent dans une région française, des phénomènes peuvent accélérer sa propagation : les hommes qui peuvent, sans être porteur, diffuser la maladie à travers les fermes en se déplaçant de l'une à l'autre avec des chaussures ou vêtements contaminés ou bien encore via les roues des véhicules, ou encore les camions de transport de volailles qui vont d'un élevage à l'autre.

Le virus est transporté par les oiseaux sauvages qui, jusqu'à présent, étaient très majoritairement asymptomatiques.

Un virus plus rapide que l'éclair


Les statistiques sont édifiantes : le virus de la grippe aviaire frappe nos oiseaux domestiques à vitesse grand V et, lorsqu'il est lancé, sa diffusion est souvent fulgurante. Comme pour le covid, en fonction de sa souche, le virus peut être très contagieux mais peu mortel, ou à l’inverse, moins transmissible mais très agressif. Lorsqu'un élevage de volailles est touché, le taux de mortalité est donc variable. Les symptômes annonciateurs peuvent être nombreux : paralysies, convulsions, troubles respiratoires ou digestifs, baisse du nombre d'œufs pondus...


Et comme tout virus qui se répand vite, il mute très vite. Lorsque deux souches se croisent, le virus évolue en échangeant ses gênes ou en acquérant des mutations, ce qui, nous le verrons, ne facilite pas la tâche en vue d'une sortie de crise.



Quels moyens pour tenter de ralentir la propagation du virus ?

pintades amandine gay

Le phénomène de la grippe aviaire est d'autant plus facile à comprendre que nous avons connu la pandémie du COVID 19. Il n'existe aucun traitement et, pour le moment, pas de vaccin disponible sur le marché. Le règlement européen interdisait en effet jusque-là la vaccination pour les élevages commerciaux ce qui a largement ralenti les recherches. L'Etat impose donc des mesures de biosécurité drastiques :

  • Confinement de toutes les volailles pendant les périodes à risque

  • Mesures d'hygiène drastiques demandées aux éleveurs avec parfois de lourds investissements nécessaires pour se mettre à la hauteur des normes demandées

  • Abattages des volailles infectées

  • Abattage des volailles présentes autour d'élevages infectés : l'objectif est ici de faire un vide sanitaire, pour prendre de l'avance sur le virus, et l'empêcher de se propager d'un élevage à l'autre.

  • Bâtiments vidés de volailles chez les éleveurs, pendant trois mois après l'évacuation des volailles, infectées ou non, permettant un vide sanitaire.

Des mesures inefficaces qui prouvent notre impuissance


Malheureusement, malgré toutes ces mesures de biosécurité, 2022 aura montré l'impuissance de tous les acteurs investis dans la lutte contre cette maladie, en étant l'année de tous les records :

  • Plus de 1000 foyers recensés au pic de fin juin 2022

  • Plus de 50 millions de volailles abattues

  • Un virus présent toute l'année : alors qu'historiquement, le virus faisait son apparition à l'entrée de l'hiver avec le début des flux migratoires, il a pour la première fois été présent quasi toute l'année, avec de nombreuses contaminations au printemps. Cette année aura démontré que la morbidité du virus est désormais plus faible que les années précédentes mais sa contagiosité a été 1000 à 10 000 fois supérieure au virus H5N8 de 2020-2021. Vu que les volailles touchées restent en vie, le virus se propage mécaniquement plus largement.

  • Une faune sauvage elle aussi très touchée : nous l'avons dit, la faune sauvage était jusqu'à présent vecteur de maladie mais, la plupart du temps, asymptomatique. Cette année, pour la première fois, des espèces sauvages ont été retrouvées mortes par centaines, particulièrement le long de la façade atlantique. Des espèces comme le Goéland ou le Fou de Bassan ont été particulièrement victimes de la maladie. Le taux de positivité des oiseaux sauvages a été mesuré entre 15% et 20% contre 2% auparavant.

2022 aura montré l'impuissance de tous les acteurs investis dans la lutte contre cette maladie

Un espoir : le vaccin


Comme pour le COVID, une des solutions pour sortir de la crise semble résider dans le vaccin. Après avoir tenté d’éviter d’en passer par là en mettant en place des mesures de biosécurité qui ont montré leurs limites, l’Europe a décidé de revoir ses positions et de mettre des moyens sur la recherche d’un vaccin. Une lueur d’espoir se dessine enfin au bout du tunnel. Des tests sont actuellement en cours dans cinq pays européens. Les résultats devraient être connus en mars 2023 et, si tous les signaux sont au vert, le vaccin devrait être utilisable au mois de Mai.


L’objectif : vacciner les volailles avant l’automne 2023 pour éviter une énième crise l’année prochaine.

Cette solution qui s’offre comme seule porte de sortie, présente certaines incertitudes :

  • Le virus mute très vite, il y a un risque que, le temps que le vaccin soit disponible sur le marché, il soit déjà dépassé par l'évolution du virus.

  • Le défi logistique pour vacciner massivement toutes les volailles est immense mais la filière est d’ores et déjà en train de s’organiser via la mise en place de groupes de travail.

  • La vaccination risque d’avoir un impact économique, notamment sur l’export. Certains pays partenaires pourraient refuser d’importer des volailles vaccinées, de peur que le vaccin cache les signes de la maladie chez les animaux et que le virus s’installe chez eux. La vaccination représentera par ailleurs un coût non négligeable pour l’Etat et la filière mais, sur le long terme, très certainement moindre par rapport au coût de la gestion des crises cumulées chaque année (indemnisation des éleveurs et coût des abattages notamment).

Le vaccin représente la seule perspective encourageante qui pourrait permettre un début de sortie de crise. Affaire à suivre…



Quelles en sont les conséquences ?

Les conséquences sont d'abord sanitaires, et c'est bien ce qui préoccupe le plus les autorités. Pour le moment, le virus n'est pas transmissible à l’homme (quelques rares cas de contaminations entre animal et homme ont été constatés à l’échelle mondiale mais c’est infinitésimal). Mais, nous l'avons vu, il mute très vite. La crainte des autorités réside dans le fait que, par exemple, un homme qui a la grippe classique (celle que l’on connaît déjà), côtoie un animal qui a la grippe aviaire. Les deux souches pourraient alors se rencontrer, muter et il pourrait en résulter un nouveau virus transmissible d'homme à homme avec les risques de pandémie mondiale que cela implique (source Institut Pasteur). C'est ce qui s'est passé notamment au début du 20ème siècle avec la grippe espagnole : le virus H1N1, qui touchait initialement les porcs, a muté pour devenir un virus meurtrier pour les hommes.


pintades amandine gay

Comme vous pourrez le noter, nous employons le conditionnel car, pour le moment, rien n'indique que la situation évoluera dans ce sens. Savoir que c'est un scénario possible est cependant essentiel pour décrypter la situation : l'Etat et les organisations internationales (l’OMS notamment) sont avant tout guidés par la préservation de ce risque et peuvent être amenés à prendre des mesures drastiques coûte que coûte, notamment au détriment des éleveurs et des animaux.


La crainte des autorités réside dans le fait que, par exemple, un homme qui a la grippe classique (celle que l’on connaît déjà), côtoie un animal qui a la grippe aviaire. Les deux souches pourraient alors se rencontrer, muter et il pourrait en résulter un nouveau virus transmissible d'homme à homme avec les risques de pandémie mondiale que cela implique


Les conséquences sont également économiques et elles sont de plusieurs ordres :

  • Pour les éleveurs d'abord, ces crises à répétition leur demandent une adaptation permanente pour réussir à continuer de faire leur métier. Actuellement par exemple, on constate une pénurie de poussins et de canetons car des gros couvoirs de l'Ouest ont été frappés par la maladie. Par ailleurs, même s'ils sont relativement bien indemnisés, arrêter et reprendre leur activité à forcément un coût, tout comme le fait de devoir appliquer des mesures de plus en plus drastiques sans qu'elles aient pour autant prouvé leur efficacité.

  • Pour les consommateurs, les produits issus de la filière avicole se font parfois rares ou voient leur prix augmenter. C'est par exemple le cas du foie gras : nous avons noté une baisse des volumes de 30% dans les rayons et la part de foie gras pour une personne a augmenté de 50 centimes (aussi liée à la hausse des coûts de production, notamment l’énergie).

  • Pour l'Etat aussi : il prend en charge les coûts de l'abattage massif des volailles et indemnise les éleveurs lorsqu'ils sont touchés par les mesures de prévention. Cela représentait 500 millions d'euros en 2022.

  • Pour les grands acteurs économiques de la filière : la propagation de la grippe aviaire met en péril les exportations. Certains pays peuvent stopper les importations de volailles françaises à cause de la situation sanitaire. Les exportations de canards, par exemple, représentent un marché de 250 millions d'euros par an. La grande distribution peut elle aussi être impactée : les consommateurs pourraient se détourner de l'achat de volaille par crainte de la maladie (NB : il n'y a aucun risque d'attraper la maladie en consommant un produit issu d'une volaille infectée, ce n'est pas comme ça que le virus se transmet, vous pouvez sereinement manger de la volaille).

Enfin les conséquences sont humaines, particulièrement pour les éleveurs. Qu'ils soient dans un modèle de vente directe ou en circuit long et intégré, le traumatisme lié à la découverte de ses animaux morts ou partis à l’abattoir précocement est grand. Tout comme celui de voir ses bâtiments vides pendant des mois. L’incertitude qui plane au-dessus de l’élevage pendant les périodes épidémiques est également difficile à supporter psychologiquement. L’absence de perspectives et de visibilité sur les planning rend l’exercice du métier difficile. Les difficultés et le poids de cette incertitude sont tels que certains ne voient plus d'avenir dans leur métier. Ceux proches de la retraite décident d'arrêter l'activité plus tôt que prévu. Les jeunes qui viennent de s'installer se sentent, eux, en colère face à l’absence de solutions et se posent la question de ce qu'ils deviendront demain. Et ceux qui auraient pu embrasser la profession et s'installer éleveurs de volailles, décident de choisir une autre filière ou un autre métier. En bref, la filière prend de plein fouet ce que l’on appelle "la sélection naturelle" avec toutes les conséquences humaines qu'elle implique.



Les difficultés et le poids de cette incertitude sont tels que certains ne voient plus d'avenir dans leur métier.


Vous l'aurez compris, c'est donc toute la filière, de l'amont vers l'aval, qui souffre de ces crises à répétition.



Une remise en question du modèle


Cette maladie, qui revient chaque année de manière aussi lancinante que violente, oblige la filière à se poser des questions sur son modèle en profondeur. Plusieurs certitudes ont en effet été remises en question :

  • L’élevage plein air est actuellement particulièrement secoué car ce modèle n’est pas compatible avec les mesures de biosécurité imposées par l’Etat. Les éleveurs vivent la situation comme une remise en question de leur métier et accusent les instances décisionnaires de prendre des mesures inefficaces qui les empêchent de travailler et de satisfaire les attentes des consommateurs. Cela pose aussi la question des signes de qualité : Label Rouge, IGP, AOP… beaucoup de cahiers des charges, permettant aux éleveurs et à certaines régions de se différencier, sont basés sur un élevage en plein air. Faut-il faire évoluer le cahier des charges au risque de perdre sa différenciation et son avantage compétitif ?

  • La concentration d’élevages sur une zone réduite, même lorsqu’il s’agit d’élevages à dimension familiale, pose souci d’un point de vue purement sanitaire. Prenons un exemple bien de chez moi : la Chalosse, terre du canard par excellence. Lorsqu'on traverse cette magnifique région, on passe sans cesse devant des panneaux indiquant les fermes des éleveurs. La majorité ont fait le choix de la qualité et du plein air. Tout ce qu'on aime en tant que consommateur. Et pourtant le fait qu'autant d'élevages soient présents dans une si petite zone implique une propagation ultra-rapide du virus. A tel point que récemment, le récent Plan Adour a organisé un dépeuplement préventif sur les zones où la concentration d’élevages était trop grande. Pendant un mois, du 15 décembre 2022 au 15 janvier 2023 (période durant laquelle le virus était historiquement le plus fort), 61 communes dans le Sud-Ouest ont été vidées de leurs volailles à titre préventif. Nous verrons dans les prochaines semaines l’efficacité d’une telle mesure.

  • Le bien-être animal n’est pas toujours compatible avec la sécurité sanitaire : on voit ici toute la complexité de la notion de bien-être animal. On aime voir les animaux évoluer à l’extérieur pourtant on voit que le bien-être animal n’est pas toujours compatible avec les autres facettes de l’élevage (ici la dimension sanitaire). Un véritable casse-tête !

  • La filière longue (les couvoirs, qui vendent leurs volailles aux éleveurs, qui les vendent eux-mêmes à leur coopérative pour ensuite que les produits soient commercialisés dans nos grandes surfaces par exemple) est aussi pointée du doigt comme accélérateur de l’épizootie à cause des camions qui circulent d’élevage en élevage et qui favorisent la transmission du virus.


Alors le vaccin va-t-il permettre une sortie de crise à court terme ? Comment concilier bien-être animal et sécurité sanitaire ? Et comment faire pour préserver notre modèle traditionnel d'élevage plein air ?

Autant de questions qui semblent aujourd'hui sans réponse, qui montrent la complexité de la situation et l’impuissance de tous les acteurs de la filière (de l’Etat jusqu’à l’agriculteur). Bref, vous l'aurez compris, le chantier est immense pour trouver des solutions sanitaires tout en préservant l'avenir de l'ensemble des parties prenantes.


Louise Lesparre

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Merci à Marine Blin, responsable opérationnelle filières palmipèdes chez Lur Berri / Palmitou, et à Dominique Graciet, président de la chambre d’agriculture des Landes et de Nouvelle-Aquitaine jusqu’en 2021, pour leur relecture de cet édito !

Les photos de l'article ont été réalisées par Amandine Gay, pour suivre son travail c'est ici.


 

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Sources :

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