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[Décryptage] - Et la retraite des agriculteurs dans tout ça ?

Dernière mise à jour : 16 oct.


retraite agriculteurs

A l'heure où la réforme des retraites crée des débats pour le moins agités dans notre pays, il m'a semblé intéressant de se pencher sur celle des agriculteurs. C'est d'autant plus vrai que près de la moitié d'entre eux vont partir à la retraite dans les cinq à dix ans à venir. Cela représente plus de 210 000 personnes, autant dire que l'enjeu est de taille.

Alors, à quel régime de retraite sont soumis les agriculteurs ? Combien touchent-ils en moyenne après leur carrière ? Sont-ils concernés par la nouvelle réforme ? Tentative d'éclairage !





Un système de retraite complexe


Première info, le système de retraite des agriculteurs est complexe et m'a demandé quelques heures de travail pour, en partie, le comprendre. Les agriculteurs bénéficient depuis 1952 du régime spécial d'assurance vieillesse des exploitants agricoles géré par la Mutuelle Sociale Agricole (MSA). Il ne sont donc pas soumis aux règles du fonctionnement général classique même si certaines, comme l'âge légal de départ à la retraite ou la durée de cotisations, sont similaires.


Au sein de ce régime dédié aux agriculteurs, ils ne sont pas tous logés à la même enseigne. Il existe deux catégories :

  • Les non-salariés agricoles : les chefs d'exploitation et les statuts spéciaux de collaborateurs et aidants familiaux

  • Les salariés agricoles : employés, gardes-chasse, salariés des organismes de crédit agricole, etc…


Quand les salariés agricoles cumulent de manière assez classique, une retraite à base forfaitaire et une complémentaire retraite, les non salariés agricoles eux, n’additionnent pas moins de cinq dispositifs. Voici un schéma présenté dans le cadre du rapport du Sénat qui réusume l’ensemble :



Je vous propose qu'on ne détaille pas ces cinq dispositifs au risque de vous barber.

En plus de la complexité de ces cinq dispositifs additionnés, on ne cotise pas de la même manière au sein de la catégorie des non salariés agricoles en fonction de si on est exploitant agricole, conjoint collaborateur ou aidant familial.


Bref, si vous ne deviez retenir qu'une chose, c'est que la retraite des agriculteurs, c'est complexe !


Combien touchent les agriculteurs à la retraite aujourd'hui ?

retraite agriculteurs

C'est là que le bât blesse. En plus d'être complexe, le système des retraites des agriculteurs est peu rémunérateur et c'est particulièrement vrai pour les non-salariés agricoles. Ces derniers touchaient, en moyenne en 2022, 800€ par mois, contre 1500€ par mois en moyenne pour l'ensemble des retraités français (source DREES, Les retraités et les retraites, édition 2022). Les salariés agricoles sont eux à des niveaux plus classiques avec une moyenne à 1520€ par mois.


On connaît bien les inconvénients du métier d'agriculteur : il faut très souvent travailler dur et ce tous les jours de l'année. Alors pourquoi, malgré une vie entière à s'investir intensément dans sa vie professionnelle, un non-salarié agricole gagne-t-il si peu ? Il y a deux principales raisons à cela :

  • Ils cotisent légèrement moins que le régime général (14,87% contre 15,45%)

  • Mais surtout ils gagnent bien moins leur vie tout au long de leur carrière. D'après le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, 63 % des chefs d'exploitation à titre exclusif ou principal percevaient un revenu annuel inférieur au SMIC brut (20 511,40 euros au 1er janvier 2023).

Alors pour les agriculteurs c'est triple peine : ils travaillent dur pour nourrir la population, ils gagnent peu et se retrouvent avec une petite retraite.

C'est quand même fou de se dire qu'en France, un agriculteur gagne 800€ en moyenne à la retraite, quand le minimum vieillesse du régime général est à 900€.


En France, un agriculteur gagne 800€ en moyenne à la retraite, quand le minimum vieillesse du régime général est à 900€

Cependant, en fin de carrière ils ont une chose pour eux dont on parle peu : le foncier et les parts sociales de leur exploitation. En tant que chef d'entreprise, ils peuvent (s'ils trouvent preneur car, on le sait, c'est loin d'être simple), revendre les parts sociales de leur entreprise ou, si l'exploitation n'est pas reprise, revendre des terres (sous réserve de leur potentiel agricole et / ou de leur situation géographique). De par cette dimension du foncier, quelqu'un de mon entourage m'a un jour dit "les agriculteurs vivent pauvres toute leur vie mais meurent riches". A méditer.



 

Les femmes agricultrices particulièrement touchées par cette inégalité


Bande dessinée  : "Il est où le patron ?", Maud Bénézit, Editions Marabout, 2021. retraite agricultrices
Bande dessinée : "Il est où le patron ?", Maud Bénézit,, Editions Marabout, 2021, p.151.

On le sait, les femmes ont souvent travaillé dans l'ombre de leur mari dans les fermes. Pendant longtemps elles ont travaillé sans réel statut associé. Il aura fallu attendre les années 80 pour qu'elles puissent obtenir le statut de co-exploitante. En 1999, est également créé le statut de conjoint collaborateur pour couvrir leur activité. De nombreuses femmes ont donc travaillé pendant des années de façon invisible, sans cotiser, ce qui implique aujourd'hui une grande disparité de pension entre agriculteurs et agricultrices.

Dans la même lignée, lorsqu'elles choisissent un statut officiel comme celui de conjoint collaborateur ou d'aidant familial, le régime prévoit des cotisations plus basses et donc des pensions plus faibles.


Ainsi, nous l'avons dit, la retraite moyenne des non-salariés agricoles est de 800€ par mois. Voici la moyenne entre hommes et femmes :

  • Hommes non salariés agricoles : 980€

  • Femmes non salariés agricoles : 660€

Une différence de 320€ par mois, autant dire un gouffre.


La loi Chassaigne de 2020 tente de corriger un peu le tir en imposant une nouvelle règle : on ne peut opter pour le statut de conjoint collaborateur ou d'aidant familial que pendant cinq ans. Après ces cinq années, il faut choisir entre le statut de coexploitant ou de salarié qui sont plus protecteurs socialement.


On peut imaginer, au vu de l'évolution de la loi dans les années 80 qui a permis aux femmes d'obtenir un statut officiel dans les fermes, que les pensions entre hommes et femmes vont s'équilibrer dans le temps mais il faudra surveiller ce point avec attention dans les prochaines années.

 

La législation : un outil pour réparer cette injustice

agriculteur retraite

Ce n'est que tardivement que les gouvernements successifs se sont attelés à ce sujet pour corriger cette injustice. Et le moins que l'on puisse dire c'est que les choses se sont faites petit à petit. Zoom sur les législations récentes :



Novembre 2021 :


La loi Chassaigne est mise en application. Cette loi implique deux dispositions :

  • L'augmentation du minimum vieillesse des agriculteurs en le passant de 75% à 85% du SMIC pour les chefs d'exploitations à carrière complète. Cela représenterait une hausse d'environ 100€ par mois qui a été appliquée aux agriculteurs déjà à la retraite qui remplissaient les critères (notamment avoir réalisé une carrière complète).

  • La revalorisation des pensions de retraite des conjoints et des aidants familiaux via l'uniformisation de la pension majorée de référence. Cela représente une hausse de 62€ par mois pour 175 000 bénéficiaires potentiels.


Février 2023 :


La loi Dive, tant attendue par le monde agricole est votée à l'unanimité par l'Assemblée Nationale en février 2023 : alors que la retraite des agriculteurs était calculée sur l'ensemble de leur carrière, elle sera désormais calculée sur les 25 meilleures années comme pour tout le monde. Les agriculteurs représentent la dernière profession a basculer sur ce système. Cela semble essentiel à l'heure ou le changement climatique est une réalité dans nos fermes et que les résultats, pour une même exploitation, peuvent varier du simple au quintuple en fonction des années. Cette loi devrait améliorer la retraite de bon nombre d’agriculteurs. Cependant, plusieurs zones d’ombre subsistent :

  • Aucune mesure d'impact n'a été faite pour le moment (ce qui est assez étonnant, car d'habitude le travail de l'impact économique d'une loi est réalisé avant de la voter) :

    • On ne sait donc pas concrètement de combien cela va augmenter la retraite des agriculteurs. La FNSEA parle d'une hausse de 250€ à 300€ par mois mais aucun calcul officiel n'a encore été réalisé.

    • On ne connaît pas non plus le coût de cette réforme au global. En 2012, lors d'une étude d'impact, on avait évalué cette mesure à 472,2 millions d'euros mais elle n'a pas été actualisée pour le moment. Le gouvernement est censé mettre à jour ces prévisions dans les trois mois qui suivent le vote mais le personnel a déjà sonné l'alarme en expliquant que ce délai était trop court.

  • Après avoir lu le rapport du Sénat, rien n'est dit sur le financement de cette réforme. Le montant des cotisations des agriculteurs va-t-il augmenter ? Si oui, de combien ? L'Etat va-t-il prendre en charge une partie ?

  • Enfin, on ne sait pas si cette loi est rétroactive : les 1,3 millions d'agriculteurs actuellement à la retraite vont-ils pouvoir en bénéficier ? Ce n'est pas notifié non plus et la profession agricole s'en inquiète.


Bref, quelques zones d'ombres restent à éclaircir et non des moindres.


Enfin, cette loi ne sera mise en application qu'en janvier 2026, le temps que la MSA mette à jour son système de données et s'adapte à ce nouveau mode de calcul.


Et la nouvelle réforme dans tout ça ?


Malgré le fait qu'ils ne cotisent pas au régime général, les agriculteurs sont tout de même concernés par la nouvelle réforme des retraites. Comme tout le monde, ils devront donc partir à la retraite à 64 ans et cotiser pendant 43 années.


Les agriculteurs sont tout de même concernés par la nouvelle réforme des retraites. Comme tout le monde, ils devront donc partir à la retraite à 64 ans et cotiser pendant 43 années.

La réforme inclut par ailleurs une revalorisation de l'ordre de 1000€ par an pour les agriculteurs partis précocement à la retraite en situation d'invalidité et de handicap.


Les syndicats s'interrogent sur deux points concernant cette nouvelle réforme :

  • Ils souhaiteraient que la pénibilité du travail d'agriculteur soit prise en compte pour partir plus tôt que les autres professions à la retraite

  • Ils aimeraient en profiter pour revaloriser la pension des conjoints-collaborateurs à carrière complète qui touchent aujourd'hui un minimum retraite de 700€.



Mais les agriculteurs veulent-ils vraiment partir à la retraite ?


Dans les faits, la nouvelle réforme ne changera pas grand-chose pour les agriculteurs. Ces derniers partent à la retraite en moyenne à 63,4 ans alors qu'ils avaient jusqu'à présent la possibilité de s'arrêter à 62 ans. Alors, quelles en sont les raisons ? J'en vois plusieurs :

Des raisons économiques : au vu de la faiblesse des pensions qu’ils touchent, certains sont très certainement contraints de faire le choix de poursuivre le métier tant qu'ils le peuvent encore pour s'assurer de meilleurs revenus pendant quelques mois supplémentaires.

Des enjeux de transmission des exploitations : on connaît les difficultés de trouver un repreneur pour sa ferme. Certains agriculteurs doivent certainement pousser au bout du bout en espérant réussir la transmission de leur exploitation. L'installation d'un repreneur ou d'un associé ne se faisant pas en un claquement de doigt, des agriculteurs doivent être contraints de décaler leur départ à la retraite pour assurer une bonne transmission.

Une passion dévorante : enfin, dernier cas de figure, ceux qui prolongent par passion, par peur du vide de l'après. Pas de doutes, beaucoup d'agriculteurs aiment leur métier et ont du mal à le quitter. C'est particulièrement vrai pour les éleveurs qui ne se voient pas sans leurs vaches. Certains, à la retraite, s'arrangent même d'une manière ou d'une autre pour en garder quelques-unes. Et puis, après avoir tant travaillé toute sa vie, on comprend que le départ à la retraite soit un véritable cap à franchir.

Dans de nombreux cas, même à la retraite, les parents et / ou l'associé du nouvel installé ont du mal à décrocher et passent tous les jours sur l'exploitation pour donner un coup de main et quelques conseils. Cela permet à la nouvelle génération de bénéficier d'une aide gratuite qui s'occupe alors des tâches à faible valeur ajoutée. Quand on connaît les difficultés économiques de certaines exploitations, cette aide est non négligeable même si elle implique parfois de réels conflits entre générations qui ne partagent pas la même vision du métier. La nouvelle génération peut avoir du mal à trouver sa place et à s'imposer ce qui peut être parfois pesant au quotidien.

Dans les faits, la nouvelle réforme ne changera pas grand-chose pour les agriculteurs. Ces derniers partent à la retraite en moyenne à 63,4 ans alors qu'ils avaient jusqu'à présent la possibilité de s'arrêter à 62 ans.


Pour conclure, malgré les moyens mis en œuvre pour améliorer la retraite des agriculteurs ces dernières années, il semble que l'Etat devra intensifier ses efforts pour soutenir la profession et réparer l'injustice de ces pensions trop faibles compte tenu de la vie de labeur d’un agriculteur. C'est d'autant plus vrai quand on sait que l'attractivité du métier sera clé pour relever le défi de ces 200 000 agriculteurs qui partiront à la retraite dans la prochaine décennie.


 

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Sources :


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