
Les élections des chambres d'agriculture se sont tenues du 15 au 31 janvier et les résultats définitifs viennent de tomber.
Ces élections sont un rendez-vous clé pour le monde agricole, car elles déterminent la gouvernance des chambres, ces structures consulaires qui jouent un rôle essentiel dans l'accompagnement des agriculteurs et la mise en œuvre des politiques agricoles sur le terrain.
Cette édition 2025 a réservé son lot de surprises et de bouleversements. Entre un contexte politique et économique sous tension, une participation en berne et un mode de scrutin qui peut poser question, il y a de nombreux enseignements à en tirer. Voici les cinq points-clés que nous retiendrons de ces élections et leurs implications pour le monde agricole.
Avant de commencer, si vous souhaitez un éclairage sur le sujet, nous avons écrit un édito pour expliquer le fonctionnement de la gouvernance des chambres d’agriculture disponible ici.
1. Un contexte politique et économique qui favorise la montée des syndicats minoritaires
L'un des faits marquants de ces élections est la percée historique de la Coordination Rurale (CR), syndicat revendiquant un discours de rupture. Si la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs (JA) restent majoritaires en conservant la présidence de 72 chambres, ils accusent une perte significative de 15 chambres, principalement au profit de la Coordination Rurale qui en détient désormais 14 (contre seulement 3 en 2019). La Confédération Paysanne, quant à elle, progresse légèrement en remportant 3 chambres.
Ce bouleversement s'explique en partie par la crise agricole de l'année passée, qui a exacerbé les tensions et la frustration des agriculteurs.
Alors que la loi d'orientation agricole était sur le point d'être adoptée, la dissolution de l'Assemblée nationale du mois de juin a mis un coup d'arrêt aux avancées tant attendues. L'immobilisme politique a très certainement joué en faveur de la Coordination Rurale, dont le discours radical a su capter la colère du terrain.
Par ailleurs, les accords du Mercosur, signés en décembre 2024, ont suscité un sentiment de trahison chez de nombreux agriculteurs. En particulier, les secteurs de la viande bovine, du sucre, du miel et du riz se sentent menacés par l'arrivée de produits concurrents à bas coût. Cette crainte a sans aucun doute renforcé le vote contestataire.
Enfin, les manifestations de Sainte-Soline, qui vont vu s'affronter des environnementalistes radicaux, des agriculteurs et la police, ont laissé des traces indélébiles dans les campagnes. La problématique du stockage de l'eau pour s'adapter au réchauffement climatique est une vraie question pour de nombreux agriculteurs qui se sentent souvent incompris sur le sujet.
Bref, comme souvent, le contexte tendu a profité aux représentants tenant des discours de rupture et promettant des changements radicaux.
2. Des élections qui mobilisent de moins en moins d'agriculteurs

Le nombre d’agriculteurs participant à ces élections ne cesse de diminuer. Deux phénomènes viennent expliquer cette tendance.
D'une part, la baisse continue du nombre d'agriculteurs conduit mécaniquement à une diminution du corps électoral. Pour rappel, on comptait 1,6 millions d’agriculteurs au début des années quatre-vingt alors qu’ils ne sont plus que 400 000 aujourd’hui.
D'autre part, le taux de participation, bien qu'il se soit stabilisé à 45 % cette année et que cela reste un très bon taux pour des élections professionnelles, accuse une baisse tendancielle (46 % en 2019, en recul de 8 points par rapport à 2013). La diminution de cet indicateur doit pousser les représentants des chambres d’agriculture à mener une réflexion de fond pour comprendre pourquoi les agriculteurs se détournent de leur instance et comment ils peuvent mieux répondre à leurs besoins et leurs enjeux.
Il est intéressant de noter que ces deux premiers enseignements font écho au contexte national que nous connaissons dans le pays : élections présidentielles comme législatives connaissent elles aussi une baisse du taux de participation et une montée des extrêmes. Le monde agricole n’échappe visiblement pas à la règle !
3. Une Nouvelle-Aquitaine particulièrement secouée

La Nouvelle-Aquitaine a été particulièrement secouée par ces élections. La Coordination Rurale y a réalisé une percée majeure, passant de 3 à 11 chambres détenues. Parmi ces nouveaux territoires conquis, la Gironde, la Charente, la Charente-Maritime et la Dordogne figurent parmi les bascules les plus marquantes.
Pourquoi cette région connaît-elle une bascule si importante ? Après discussion avec plusieurs acteurs du territoire, plusieurs facteurs semblent entrer en jeu. D'abord, elle a été frappée par des crises agricoles majeures, notamment la grippe aviaire ou la crise de la viticulture en Gironde.
Ensuite, certaines FDSEA (il s’agit des instances de la FNSEA au niveau départemental) se sont affaiblies avec le temps et n’ont pas fait campagne comme elles auraient dû, laissant ainsi le champ libre à une opposition mieux structurée et plus offensive.
Certains départements ont cependant mieux résisté comme les Landes et le Pyrénées-Atlantiques. Les FDSEA ont su rester structurées dans le temps et ont mené un travail de terrain soutenu et une campagne active.
4. Un mode de scrutin qui peut poser question
Le mode de scrutin actuel favorise grandement la liste arrivée en tête. Par exemple, en Gironde, bien que l'écart de voix entre la Coordination Rurale et la FNSEA/JA soit infime (799 voix contre 793 voix sur 2174 votants), la CR remporte 12 sièges contre seulement 3 pour la FNSEA et les JA.
Pourquoi un tel décalage ? Car sur les 18 sièges destinés aux agriculteurs, 9 vont automatiquement à la liste majoritaire, et les 9 autres sont répartis proportionnellement.
Ce système garantit une gouvernance claire, sans cohabitation possible, mais il pose la question de la représentativité.
Le sujet est d’autant plus important qu’il a un impact direct sur le financement des syndicats agricoles. Le budget annuel s’élève à 14 millions d'euros, répartis à 75% en fonction des voix obtenues et à 25% selon le nombre de sièges.
5. Des changements avec des impacts sur les hommes et les territoires
Le renouvellement des élus au sein des chambres d'agriculture ne se limite pas qu'à une question politique. Il impacte directement les salariés, la stratégie et les projets en cours. Chaque nouvelle équipe apporte sa vision, et certains dossiers risquent d'être remis en cause. Les salariés seront de fait les premiers impactés mais ils ne seront pas les seuls. Les Chambres sont des interlocuteurs clés pour de nombreux services de l'Etat (les préfectures en premier lieu) et entreprises du territoire. Certains s'interrogent sur la capacité de la Coordination Rurale à endosser pleinement ce rôle de dialogue et de gestion concertée et craignent le blocage de certains dossiers. L'avenir dira comment ces nouveaux élus relèveront ce défi !
Pour conclure, ces élections marquent un tournant pour l'agriculture française. Entre contestation, abstention et recomposition du paysage syndical, le message passé par les agriculteurs est clair : il faut que les choses bougent. Une chose est sûre : le débat agricole est loin d'être terminé et les défis pour sauver notre souveraineté alimentaire restent entiers.
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